Par Aude REBIERE-LATHOUD, Avocat associé et Julien TRIBOUILLARD, juriste, ATOUTS AVOCATS
Classiquement, l’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme est défini par l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme qui dispose :
« Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».
Depuis quelques années, le Conseil d’État impose au requérant de démontrer de manière plus précise qu’il dispose d’un intérêt lui donnant qualité pour agir :
« Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci » (CE, 10 juin 2015, n°386121).
Le requérant doit ainsi faire apparaître dans ses écritures et ses pièces « en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux » (CE, 10 février 2016, n°387507). A cette fin, le requérant peut aussi produire « divers clichés photographiques », pris depuis sa propriété, « attestant d’une vue directe sur la construction projetée » (CE, 17 mars 2017, n°396362).
Le voisin immédiat, quant à lui, est privilégié puisqu’il dispose d’une présomption d’intérêt à agir :
« Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou la localisation du projet de construction ». (CE, 13 avril 2016, n°389798)
Toute dernièrement, le Conseil d’État est venu rappeler que cette présomption n’est pas un totem d’immunité exonérant le voisin immédiat de démontrer son intérêt à agir.
Rappelant la lettre de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme et reprenant son considérant de principe, le Conseil d’Etat rejette la demande des requérants voisins immédiats aux motifs qu’ils n’apportaient aucun élément sérieux et qu’ils se bornaient à faire état de considérations de droit privé dépourvues de liens avec le droit de l’urbanisme :
« Les intéressés se sont bornés à faire état de la proximité immédiate de leur propriété avec celle du projet, ainsi que de l'existence d'un litige de bornage avec leur voisin. En se fondant, ainsi, d'une part, sur un litige judiciaire sans lien avec la nature, l'importance ou la localisation du projet de construction, et, d'autre part, sur des éléments relatifs aux conditions de jouissance de leur bien par M. et Mme A... dont les intéressés ne faisaient nullement état dans leurs écritures, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit (CE, 19 janvier 2024, n° 469266).
Cet arrêt constitue une piqûre de rappel pour le requérant qui doit impérativement apporter des éléments précis dans ses écritures établissant son intérêt à agir : perte de vue, perte d’ensoleillement, nuisances sonores etc.
Cette démonstration est obligatoire, y compris pour les voisins immédiats du projet attaqué, sous peine de subir une sentence irrévocable de la part du juge administratif.
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